La Question de la Lebenswelt / Livres
Philosophie n° 108 : La Question de la Lebenswelt est une revue philosophique éditée en janvier 2011 aux éditions De Minuit.
Une polémique récente a porté sur l'engagement nazi de Heidegger. Ce numéro livre un témoignage majeur : la traduction par P. David d'un texte de Walter Biemel, qui vint à Fribourg de 1942 à 1944 pour assister aux cours et participer aux séminaires de Heidegger. Il y décrit la manière dont se déroulaient les enseignements de Heidegger, et caractérise leur esprit : loin de toute glorification idéologique du régime, on saisit comment Heidegger tâchait d'amener les étudiants à pénétrer au coeur de la pensée des auteurs et à la resituer dans l'histoire de la métaphysique.
La suite est tout entière consacrée à la notion de Lebenswelt (monde de la vie), dont les auteurs tentent de retracer l'émergence chez Dilthey et de suivre la thématisation chez Husserl, puis la réappropriation par Heidegger et Scheler. Ce dossier s'ouvre avec la traduction, par J. Farges, d'un texte tardif de Husserl intitulé « Histoire et souvenir », et se poursuit par un article du traducteur intitulé « Monde de la vie et primordialité chez Husserl », où il tente de cerner les ambiguïtés de l'esthétique transcendantale de Husserl et de trancher la question de savoir si le monde de la vie husserlien se laisse identifier à un monde primordial.
A cette fin, il analyse la redéfinition par Husserl des tâches de l'esthétique transcendantale et, en dégageant la différence centrale entre originalité et originarité, montre que jamais Husserl n'a identifié Lebenswelt et monde primordial - le monde de la vie étant toujours caractérisé par son intuitivité concrète, aux antipodes de l'abstraction constitutive de toute primordialité.
Suit un texte de L. Perreau intitulé « Alfred Schütz et le problème du monde de la vie ». Ce disciple de Husserl ayant déployé une analyse phénoménologique des structures du monde social, il est tentant de présenter son projet comme étant celui d'une théorie du monde de la vie développée à partir de l'attitude naturelle. L. Perreau corrige cette présentation, en distinguant les diverses déterminations conceptuelles de la Lebenswelt dans la pensée de Schütz : socialité mondaine, fondement ontologique, réalité primordiale et horizon des contextes de sens.
Dans « Scheler et la question du monde de la vie », A. François montre que l'on trouve chez Scheler non simplement une absence, mais une résistance à cette question husserlienne, et tente d'en saisir les raisons : elle tient à la conception même qu'a Scheler de la phénoménologie et de la nature de la réduction phénoménologique. Si l'expression Lebenswelt n'appartient pas à la conceptualité de Dilthey, sa philosophie de la vie en conçoit cependant l'essentielle mobilité en l'articulant à la diversité des mondes historiques.
Aussi J.-C. Gens montre-t-il, dans « L'herméneutique diltheyenne des mondes de la vie », que tout monde est monde de la vie, vu qu'il en est une expression historique et qu'il n'est donné que dans le vécu d'une conscience vivante.
Enfin, S. Jollivet s'efforce de cerner les « Enjeux et limites du retour au monde de la vie chez le jeune Heidegger » : cette notion possède chez lui une fonction centrale, car elle lui permet d'approfondir la dimension mondaine de « l'expérience vécue » (Erlebnis), mise à l'honneur par Dilthey ; mais, soucieux de dépsychologiser les analyses de ce dernier, il s'attelle à une déconstruction du problème du vécu, allant jusqu'à abandonner cette notion au profit de celle d'« être-au-monde », puis de « Dasein ». D. P.
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